Il faut qu'on parle (PV Linéa)

C'était sa discussion avec Imala qui avait poussé la louve blanche à partir à la recherche de son alpha. L'été était paisible, au Nord, et tout roulait pour le mieux pour cette meute qui était passée tout près de tout perdre. Mais pour Azara, la menace était toujours présente, tapie dans l'ombre. Ce n'était pas que dans sa tête. Elle avait vu Varzar pendant la grande chasse, ce qui signifiait que l'alpha du centre, après être disparu pendant des mois, revenait tranquillement sur ses terres. Elle savait trop bien son désir de vengeance. Il agirait bientôt et personne semblait s'en inquiéter autant qu'elle. Sans parler de Keva, maintenant ronde, visiblement très près de mettre bas. Qui était le père de ses loupiots? Sans doute l'alpha des Originelles. À eux deux, ils formaient un couple redoutable pour la meute Boréale, qui avait gagné tout ce qu'ils avaient perdu, et la bêta se devait d'en parler avec Linéa.

Elle n'avait pas tissé beaucoup de liens avec cette dernière. Depuis la guerre, l'une comme l'autre pensait ses blessures et elles n'avaient pas toujours pris la peine de communiquer, comme elles le devaient en tant qu'alpha et bêta. Si bien que l'apparition de Croc Blanc au poste de dominant l'avait prise par surprise. Il y avait une lacune dans leur relation et Azara, un peu naïve, espérait que cette discussion aiderait à la combler. En se levant le lendemain du retour d'Imala de son voyage des terres du Sud, elle s'étira longuement en humant l'air. Linéa n'était pas à sa tanière, comme c'était souvent le cas dans les derniers mois. Où trainait-elle? Azara avança lentement entre les arbres de la forêt, questionnant les siens. Quelqu'un lui indiqua que Linéa avait quitté vers la toundra à l'aube. Azara pris cette direction, tout juste après avoir poussé un hurlement pour son alpha.

—Linéa, où es-tu?

Un jappement lui répondit dans l'horizon et Azara se mit en marche vers cette réponse. Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de Linéa, elle fut prise d'un doute. Et si elle s'inquiétait trop? Elle ne faisait que ça, depuis le début de ce conflit. Elle observait, elle réfléchissait, elle analysait la situation dans tous ses angles, à un point où la guerre et ses conséquences représentaient toute sa vie. Toutes ses pensées. Le couple alpha ne voyait pas les choses comme elle, elle le savait. Croc Blanc avait même parlé de la grandeur de la meute, qu'ils pousseraient encore plus loin si on osait s'attaquer à eux à nouveau. Et si Linéa ne la trouvait pas adéquate dans son rôle de bras droit? Et si elle la voyait comme une nuisance qui s'inquiétait trop? La louve blanche secoua un peu la tête. Une chose à la fois. Elle rejoint sa dominante, qui s'était arrêtée pour l'attendre. Elle la salua d'un hochement de tête, tout en s'accroupissant légèrement, en guise de soumission. Elle continuait de le faire. Linéa et elle n'étaient pas proches, pas comme elle et Imala.

—Je m'excuse de te déranger, Linéa. Mais je pense qu'il faut qu'on parle.

De beaucoup de choses, en vérité, mais d'abord de la menace qui planait, qui lui brûlait la langue, qu'elle devrait extérioser.

—Je suppose que tu sais que Varzar et Keva sont sortis de l'ombre? Je crains leur vengeance et je souhaitais t'en parler.

Un flashback. Elle revit Varzar, ses crocs dans sa chair, lui déchiquetant le muscle de la cuisse. Le sang dans la neige. Varzar qui lui tournait le dos, la prenant pour morte. Elle ne pouvait pas revivre un tel traumatisme à nouveau. Elle remarqua que Linéa s'était bien remise de ses blessures, mais son visage, son œil, restait toujours déformé par les combats. La guerre n'était pas derrière eux.

Azara s'attendait à cette réponse. Elle savait que Linéa n'y verrait pas une menace, du moins pas autant qu'elle. Elle avait eu la même expérience avec Croc Blanc lorsqu'elle avait abordé le sujet avec lui. Pour le couple dominant des Boréales, la meute du centre n'était plus inquiétante, pas tant que Keva s'occupait de sa progéniture, du moins. Était-ce vraiment possible que Varzar et Keva tournent la page? La bêta ne connaissait pas le dominant du centre comme un loup particulièrement conciliant. Azara n'était pas très convaincue que leur situation de pouvoir resterait sans vague, ce qui se reflétait dans son attitude physique. Elle secoua son pelage pour s'échapper à la tension qui grandissait en elle, léchant son museau pour s'apaiser.

—Je continue de penser qu'il ne faut pas les sous estimer. Tous les deux ont su nous surprendre pendant la guerre et je les connais particulièrement redoutables. Imprévisibles.

Azara observa au loin, se demandant aussi ce que faisait la meute Originelle au même moment. Elle avait peur de jeter un regard vers l'horizon, un jour, et d'y voir les Originelles courir vers les siens. Elle continua.

—Sans compter que c'est toute une meute qui a tout perdu, pas que Varzar et Keva, et qui désire sûrement se venger. Ils sont assez fous pour tenter leur chance, même si nous sommes plus fort et plus nombreux.

La louve blanche repensa à sa discussion avec Imala et à la pensée qui lui était venue. Toute cette histoire se terminerait avec la mort de Varzar et de Keva. Qui oserait passer à l'acte, toutefois? Azara avait aussi un mauvais pressentiment, comme si la conclusion de cette histoire ne serait pas aussi facile. Comme si ces deux loups n'étaient pas que les seuls dans l'équation. Mais elle ne voulait pas non plus s'opposer aux idées de son alpha.

—Je ne veux pas m'inquiéter pour rien et je n'insisterai pas si tu le désires. Mais je pense qu'il faut rester sur nos gardes et être prêt à toutes éventualités.

S'attendre à une guerre, même si elle ne venait pas. Azara disait ces mots en fixant la louve grise. Elle ne la connaissait pas assez pour savoir son histoire, pour comprendre ses valeurs et ses décisions. Peut-être qu'elle avait connu pire, en vérité, la poussant à être moins prudente. Mais ce n'était pas la réalité d'Azara. Elle avait vécu beaucoup de perte et ne pouvait s'empêcher d'être soupçonneuse face à ce moment de répit. La peur de tout perdre à nouveau lui mordait le ventre.

Anxieuse bien malgré elle, elle attendit la suite.