Une patrouille qui aura son lot de surprises.

La louve ouvrit les yeux et se redressa rapidement. Après une brève analyse, elle reprit son souffle. Elle n'était pas dans ce monde froid et blanc. Elle était à l'orée de sa forêt. La forêt de feuillu, où le sol était sec et sablonneux. Rien à voir avec cette poudre blanche dont elle venait de rêver...Plus loin,on entrevoyait la rivière qui coulait dans ses sillons. La louve frissonna, s'étira et secoua sa fourrure pour s'activer. Elle se mit immédiatement en route.

La veille, alors qu'elle arpentait ses terres à la recherche de gibier avec deux jeunes loups prometteurs, quelque chose d'étrange l'avait marqué et avait enclanché en elle son besoin d'exploration. Elle était dans les landes quand tout ça était arrivé. Personne n'avait vu venir quoi que ce soit. Il y eu un bruit sourd, puis le corps d'un des deux mâles tomba lourdement au sol dans une plainte longue et douloureuse. Puis le sable du sol devint rouge sombre. La louve avait regardé au loin, mais n'avait rien aperçu, si ce n'est qu'une odeur nauséabonde et puissante qui lui piquait le nez. Elle avait senti le parfum des hommes, mêlé à l'odeur du savon, shampoing et autres cosmétiques artificiels d'usages quotidiens. Aussitôt, elle quitta les landes avec le jeune loup survivant et s'enfonça dans la forêt. Le loup blessé n'y surviva pas.

Aussitôt arrivé au sein de sa meute, elle prit la décision de remettre la direction de la meute aux pattes des bêtas et de partir en quête de territoire nouveau, où l'homme n'y chasserait pas le loup.  Elle traversa ainsi toute la forêt avant d'aller dormir non loin de la rivière. En repensant à tout cela, la louve ne s'était pas rendu compte qu'elle venait de franchir ce qui lui semblait être une prairie riche en petits rongeurs. L'orée d'une toute nouvelle forêt s'offrit à elle.

Le sol de cette forêt était meuble et riche. Dans l'air, une odeur de fraîcheur et de gibier. Cela lui ouvrit l'appétit. Puis un peu plus loin, l'odeur bin distincte d'une meute. Keva avait entendu bien des histoires sur différentes meutes au delà des terres de la meute Australe. Jusqu'ici, elle n'avait jamais dépassé la rivière. Territoire qui fut convoiter maintes fois par son père avant elle. Mais ce nouveau territoire qu'elle venait de découvrir était luxuriant et riche. Ces loups ne devaient manquer de rien... Il fallait qu'elle réussisse à mettre la patte sur une petite parcelle de ces terres.

Bien décidé à s'imposer, la jeune louve se mit en mode exploratoire. Reniflant les limites du territoire établies par la meute, cherchant les indices de présence, elle devait tout apprendre sur cette meute avant de pouvoir y amener la sienne afin de se disputer le territoire. En parcourant ainsi la forêt mixte, quelque chose accrocha son regard. Une tâche d'un blanc immaculé au loin. Une douce brise chaude vint lui apporter les effluves de cette tâche. Un loup. Une femelle. Jamais Keva n'avait vue un loup si blanc... Elle s'approcha en douce. Cette louve, en plus d'être blanche, était d'une taille beaucoup plus petite que les loups qu'on aperçevaient dans le Sud. Keva remarqua que les oreilles de l'intruse était plutôt arrondie. Elle trouva cela assez comique. Un petit sourire se glissa sur ses lèvres. Elle resta ainsi, à l'affut, à l'observer pendant un moment.
Le pelage de Keva, bien qu'assez roux, se fondait parfaitement dans le décor. La blanche fit quelque chose qui sonna une cloche à Keva. Elle se roula dans la boue... À moins que ce soit pour éloigner les insectes, l'alpha se dit qu'il s'agissait sans doute d'une tactique pour cacher son odeur et également le blanc de sa fourrure. Ainsi, en réfléchissant quelque peu, Keva en vint à la conclusion que cette louve n'appartenait pas à la meute présente sur les terres. Quel serait l'intérêt de se cacher autrement? Ce moment d'inattention suffit à Keva pour faire une erreur. Avec sa large carrure, elle cassa une branche dans les petits arbustes dans lesquels elle se cachait.

La louve semblait l'avoir repérer et tenta de se cacher. À peine Keva voulu s'approprier le territoire, déjà les emmerdes commençaient. Et si cette louve était également venue pour voler la terre qui lui revenait? Keva sortie alors des buissons en se bombant le torse. Elle se dit quu'une aussi petite louve se laisserait facilement impressionnée. Sans montrer les crocs, Keva poussa un grognement d'avertissement féroce. Il n'était pas question que cette petite inconnue lui vole les terres qui ne lui appartenait pas encore. Keva toisa sévèrement l'inconnue de ses yeux verts. À qui avait-elle affaire?

Lorsque Keva s'approcha en grogna, la louve blanche fini par sortir de sa cachette insignifiante. L'inconnue lui fit clairement voir un signe de soumission. Comme Keva l'avait espéré, cette louve était facilement impressionnable. Aussitôt, cela eu pour effet de calmer l'alpha des Australes. Elle cessa de grogner et continue de s'avancer fièrement, la tête très haute et le poil hérissé sur son dos pour se faire plus imposante.

Une fois assez près, mais assez loin, Keva s'immobilisa, scrutant la louve dans les moindre détails. Ce blanc couvert de boue... Il était si blanc. L'odeur qui émanait de cette louve avait quelque chose de glacial. Sans comprendre pourquoi, cela lui rappela son rêve où tout était blanc autour. Cette louve sentait également un mélange de lichens et de mousse, de terre aride et de la douce odeur sucrée des conifères. Et cette odeur derrière... Quelle était-elle? La louve lui parla finalement. Elle s'excusa de sa présence sur les terres qui n'étaient pas encore celles de Keva.

Keva fut surprise par l'accent de cette louve. Décidément, elles ne venaient pas du même monde. Lorsqu'elle se secoua, la boue séchée retomba un peu sur le sol. Keva était omnubilé par la blancheur de ses poils. À son odeur, Keva eu l'impression qu'elle n'était pas qu'une simple sauvage. D'autres odeurs lui collaient à la fourrure. Des odeurs de loups. Pourquoi une louve irait si loin de sa meute? Était-elle une espionne? Elle tentait de passer inaperçue... Alors pourquoi se dévoiler maintenant? Peut-être était-elle réellement une sauvage, mais en infiltration?

Perplexe, Keva retenue cependant la seule information que la louve lui donna. Son nom était Azara. Pourquoi tant de mystère? Pour Keva, le suspense était insoutenable. Son impulsivité la poussait souvent à découvrir ce qu'elle voulait, lorsqu'elle le voulait. Ne sachant sur quels pattes dancer, Keva lança d'un ton sec:


Aussitôt, la louve se reprit d'un ton plus calme et déposé. Après tout, cette Azara ne semblait pas très mesquine. La louve décida de jouer la carte de l'honnêté. De toute façon, en quoi était-ce utile de cacher son intention? Keva était consciente qu'elle devra se battre un jour ou l'autre pour ces parcelles de terre. Aussi bien savoir tout de suite à quoi s'attendre.

Keva dévisagea Azara et prit le temps de s'asseoir au sol pour lui montrer sa bonne foi. Son désir n'était pas de se battre, bien qu'elle se disait avoir toutes les chances de son côté. Elle resta toutefois bien droite, avec un regard perçant.  

La question sembla irriter Azara qui fronça les sourcils. À présent, elle avait opté pour une posture plus neutre. Keva la toisa en attendant toujours sa réponse. Ainsi, elle était la bêta de la meute Boréale... Keva croyait que cette meute ne relevait que des légendes que son père lui racontait enfant. Alors la poudre blanche dans son rève devait être la neige... Et cette louve, Azara, présentait un pelage assez distinctif pour pouvoir être la seule à se cacher dans la dites neiges.

Cette louve blanche devina également la meute de Keva. Celle-ci approuva du regard. Lorsque Azara lui dit qu'elle était sur ces terres pour des raisons semblables aux siennes, Keva se releva brusquement sur ses pattes, sans réfléchir, prête à toutes sortes d'éventualités. Sans que la rousse ne l'ait demandé, Azara s'expliqua, ce qui fit redescendre d'un cran l'énergie de Keva. Elle lui parla du froid, de la famine et de la mort. Keva parvenait à comprendre. La chaleur écrasante du Sud parvenait parfois à tout assécher, faisant fuir, par le fait même, le précieux gibiers. Également, les coups de chaleur non soignés pouvaient rapidement dégénérer, voir entrainer la mort.

En fixant la louve dans les yeux pour juger de sa sincérité, elle remarqua que ses iris orangés étaient imbibés d'eau... Keva se fit d'abord méfiante. Jouait-elle le jeu pour tenter de l'amadouer avec son histoire? La louve prit une grande inspiration en portant un regard sévère sur Azara. L'alpha se dit qu'il se pouvait aussi que par ce froid dont elle parlait, elle ait perdu un être cher. Un enfant peut-être?

Keva comprennait bien les raisons qui poussait la meute d'Azara à s'exiler vers le Sud, cependant, elle comprennait aussi que cela représentait une menace. Une menace pour les terres abondantes sur lesquelles elles se tenaient, mais également, une menace éventuelle pour ses propres terres et sa meute. Et si Azara avait d'autres raisons de chercher des terres qu'elle ne disait pas? Et si sa meute souhaitait prendre le contrôle de toutes les meutes avoisinantes? L'alpha ne pouvait quand même pas se fier à des spéculations... Aussitôt, elle répondit:

Keva se demanda même si Azara savait ce qu'était un homme. En avait-elle déjà vu ou même senti un? Du côté du Sud, c'était plutôt le contraire. Les hommes étaient de plus en plus présents et l'été était difficile. Parfois sec et étouffant, parfois humide et écrasant. La sécheresse était souvent d'attaque. L'eau se faisait rare, et le gibier également. Durant l'hiver, en trois ans, jamais Keva n'avait pu voir de neige. Par contre, le gibier revenait en abondance et le sol des landes était détrempé. La dominante redressa sa posture debout, en prenant soin de placer sa queue bien haute. Keva enchaîna immédiatement, sans laisser à Azara le temps de répondre.


Bien qu'elle soit parfois trop ambitieuse, Keva avait tout de même de l'empathie pour les autres. Elle n'était pas non plus égoiste à ce point. De plus, avoir une alliée au Nord en cas de récidive de la meute Originelle serait un avantage considérable. Après réflexion, Keva se dit que Azara semblait bien courageuse. Si elle avait bien dit la vérité à Keva, elle pourrait lui être utile. Peut-être même pourrait-elle s'entendre et travailler ensemble pour arriver à leurs fins?

Un léger grognement de mécontentement se fit entendre de la part de la blanche. Keva n'en resta pas moins méfiante. Elle plissa légèrement ses paupières pour mieux fixer Azara. Celle-ci lui dit qu'elle était ambitieuse. Bien que dans la bouche de Azara cela sembla être un défaut plutôt qu'une qualité, l'alpha ne pu s'empêcher de se sentir flatter. Elle qui espérait tant ressembler à son père. Elle l'avait toujours considérer comme un mâle ayant beaucoup d'ambition. Elle avait si fort tenté d'être à sa hauteur, qu'elle n'avait jamais remarqué qu'elle avait largement dépassé les idées de son paternel, qu'elle continuait de garder sur son piédestral.

Ensuite, le rappel d'Azara lui signifiant que ce n'était pas à elle de négocier avec sa meute la vexa. Lorsque celle-ci s'avança doucement vers Keva, la dominante dévoila légèrement ses crocs, sans réfléchir. Bien que le ton de Azara se voulait pacifique, la louve se senti attaquée. Azara la croyait à ce point innocente? Bien sûr que Keva avait entendu parlé de la meute Originelle. En revanche, puisqu'elle ne les avait jamais croisé, Keva considérait que la rage et la violence de cette meute n'était que des rumeurs faussement exagérées. Ces loups ne devaient pas être à ce point agressifs. Ces histoires arrivaient souvent de loups trop prétentieux qui avaient tenté leur coup auprès de cette meute et qui avaient eu simplement une mauvaise expérience.

À l'intérieur d'elle, le sang de Keva se mit à bouillir légèrement. Puis Azara mentionna qu'elle ne se mettrait pas au travers de son chemin. Un soulagement se fit immédiatement sentir. Keva ne souhaitait pas se battre inutilement non plus, mais elle devait s'assurer de ne pas avoir davantage d'ennemies. Azara lui dit que sa meute pourrait lui venir en aide, si la meute Australe en faisait de même. Pouvait-elle faire confiance à une meute dont elle ignorait la réelle existence jusqu'ici? Pouvait-elle se fier à une meute qui vivait dans un autre univers que le sien, à l'autre bout du monde? Et si cela se revirait un jour contre elle ou alors qu'il s'agissait d'un piège? Peut-être la meute Boréale et Originelle avaient déjà fait un pacte ensemble? Ils étaient si proche et si loin à la fois...


Keva pensait ainsi avant tout gagner du temps et apprendre à connaître cette meute cousine, mais lointaine. Et puis si la meute Boréale devait un jour être une ennemie, Keva saura déjà à quoi s'en tenir.


La louve rousse fit une brève pause pour bien peser ses prochains mots. Si Azara s'était ouverte quant à la situation de sa meute, Keva avait gardé le silence, bien qu'elle y avait glissé certains indices laissant deviner les difficultés auxquelles ils devaient faire face. L'alpha se dit que pour gagner la confiance et la compassion de cette meute, elle avait avantage à jouer carte sur table.  


Au départ, Keva souhaite s'accaparer le territoire qu'occupait la rivière. Ainsi, elle n'aurait pas eu à se confronter à la meute Originelle pour le moment. Cependant, la venue des hommes avait changer bien des choses et la rivière ne lui suffisait plus. Elle devait trouver pour sa meute, un territoire où l'homme n'oserait jamais mettre le pied. Était-ce seulement possible?

 
Le nez de Keva bougea de gauche à droite nerveusement. Le simple fait de parler de ces hommes suffisait à la rendre anxieuse. Elle devait s'approprier, avant l'hiver, d'autres territoires où l'odeur de l'homme n'était pas. Elle secoua son pelage dans le but de relâcher la tension qui montait en elle et reporta son regard vert sur Azara. En avait-elle trop dit?

Keva avait vue juste. Le Nord se voulait exempt d'hommes. Azara n'avait jamais dû les confronter. C'était une bonne chose. Si la louve repérait la présence de trace humaine en terre centrale alors elle pourrait toujours monter dans l'extrême Nord, sur les terres des loups de la meute Boréale. Ce n'était pas un plan utopique, mais ça restait un plan qui laissait une dernière chance à la meute Australe de fuire l'homme. Cela calma un peu plus la louve. Elle devait se concentrer sur sa première idée. La rivière, puis les terres des Originelles. S'assurer que ces terres n'étaient pas marché par les hommes. Ensuite elle verrait.

Azara lui dit qu'elle devait d'abord parler de cela avec son alpha. La blanche sembla soudainement pensive. Keva redressa les oreilles. Un silence accablant se faisait maintenant sentir dans la forêt. Même la brise semblait s'être endormie. Keva renifla subtilement l'air. Aucune odeur ne laissait croire que quelque chose se préparait. Aucune odeur canine non plus, autres que celles des deux louves.

La bêta lui signifia qu'elles devraient revenir sur ces terres dans les prochaines semaines. La rousse n'avait pas le temps. L'été passait souvent très vite et elle ne tenait pas à se rendre au Nord durant l'hiver. Si l'hiver était frais et souvent sans neige dans le Sud, elle n'imaginait pas au pays de la glace. Son périple devait se faire durant l'été. Son empressement était une fois de plus, le résultat de son impulsivité. Les yeux orangés d'Azara croisa ceux de Keva. Il était vrai que Keva ne savait pas vraiment à quoi s'attendre, mais elle ne s'en faisait pas trop.


Le Nord... Le froid. Non, Keva ne savait pas à quoi s'attendre. Sa fourrure n'était pas faite pour le froid. Elle était faite pour rester au sec et au frais durant les grosses canicules. Jamais sa peau n'avait expérimenté une température aussi froide que ce qu'elle s'apprêtait à affronder durant les prochaines semaines. Irait-elle seul? Pourrait-elle compter sur son bêta ou bien sur un loup fidèle à la meute? Une odeur... C'était bien l'odeur d'un loup de la meute Originelle. Elle était encore loin, mais toute de même perceptible. Et si Keva avait senti cette effluve, ce loup avait sans doute senti l'odeur des deux intruses. Elle devait quitter ce territoire rapidement. Ce loup ne tarderait pas à se pointer.


Keva ne savait pas si elle serait accompagnée, mais elle devait absolument protéger ses arrières et ne pas donner de raison à Azara de croire qu'elle serait seule et vulnérable. La meute Australe n'avait pas besoin de perdre sa dominante pour une histoire d'alliance qui fini tragiquement. L'odeur du loup était de plus en plus présente. Keva secoua sa fourrure, comme pour raviver ses muscles, puis elle tourna le dos à Azara, en ne lui laissant pas le temps de répliquer. Finalement, elle lança:


Puis aussitôt, la louve se mit à trotter rapidement en direction de ses terres. Keva devait encore franchir la forêt et la prairie. Le danger était grand. Elle ne souhaitait qu'une chose, qu'elle soit libre de rejoindre la rivière sans embuche et sans rencontre importune. C'est seulement de l'autre côté de la rive qu'elle pourrait se sentir en sécurité.

Keva repensa à tout cela. Pouvait-elle sincèrement faire confiance à cette pure inconnue? Était-elle simplement naïve de croire à une alliance avec la meute Boréale? Tout était incertain. Keva activa davantage le pas, jusqu'à être à la course. Elle devait tenter le coup. C'était pour le bien-être de sa meute.