La mort près du lac

Cela devait faire une semaine, peut-être plus que Nasatya n'avait pas eu quelque chose à se mettre sous la dent. Bien sûr, elle ne s'était pas laisser mourir de faim non plus, elle avait bien trouvé quelques mulots et quelques oiseaux à chasser, mais la faim lui tiraillait les tripes, et il lu tardait de pouvoir se sustenter d'une proie digne de ce nom. La nourriture se faisait rare mais, Dieu merci, l'été était enfin là et, avec lui, les jeunes bambins de toutes espèces se faisaient plus aventureux et moins craintifs. Les plaines l'appelaient désespérément, mais Nasatya n'aimait pas le conflit, aussi, elle préférait demeurer là où sa présence était acceptée. Elle avait déserté les glaciers et la toundra nordique pour s'avancer plus au sud, vers la forêt de conifères qui berçait les abords du lac. L'endroit était généralement bondé, à cette période de l'année, occupé par de nombreuses espèces en quête d'humidité ou de fraîcheur, et c'est ainsi qu'elle ne dérogeait pas à la règle, en se dirigeant tranquillement, d'un pas assuré vers les rives de l'immense lit d'eau. La végétation y était dense, plus qu'il y a encore quelques mois, la dernière fois qu'elle s'y était rendu, mais pourtant, pas le moindre bétail ne semblait disposé à être prit pour cible. La louve léchait bruyamment ses babines, s'arrêtant un instant en amont du lac ; ses yeux scrutaient l'horizon, tandis que sa truffe humait l'air. Ses pattes hésitèrent un instant, comme si elle n'était finalement plus si sereine à l'idée de s'avancer davantage, mais finirent par se mettre en mouvement, plus lentement, sur ses gardes. Ses oreilles étaient tendues, aux aguets, à l'affût du moindre bruissement, du moindre souffle étranger. Aucune odeur n’était distinguable, pas celle d'un autre loup en tous les cas, cependant, l'une d'entre elle, entre pestilence et eau croupissante attirait ses sens et l'invitait à la suivre. Il ne pouvait s'agir que de celle d'un cadavre en putréfaction, et ce depuis plusieurs heures, voir jours, même. Alors que son flair la guidait, ses oreilles se dressaient soudainement, avant de se pencher en arrière. Sans faire le moindre bruit, elle retroussait ses babines, signe qu'un affrontement ne lui ferait pas peur, dévoilant ses crocs légèrement jaunis par les années et le manque de vivres. Elle fléchissait légèrement ses pattes arrières, alors qu'une de ses semblables semblait elle aussi alléchée ou du moins intriguée par l'odeur nauséabonde de la carcasse qui gisait probablement tout près d'elles. Tapis dans les fourrés, elle observait la scène ; une louve blanche approchait, tout aussi prudemment, sur une rive toute proche. Les iris vertes de la louve détaillaient l'animal ; sa fourrure immaculée témoignait de ses origines nordiques, et sa carrure fine lui semblait familière, c'étaient-elles dors et déjà croisées ? Tandis qu'elle observait quelques instants encore la bête renifler le corps sans vie, Nasatya se redressait. Déterminée à ne pas se laisser voler ses restes mérités, elle entrepris un trot, la queue haute, en lançant un petit aboiement discret, comme si elle voulait s'annoncer pacifiquement. La scène était surréaliste, en cette période et en un tel lieu ; un cerf lacéré de toute part gisait au bord de l'eau, moisissant déjà, couvert d'insectes et de quelques batraciens qui prirent la fuite en entendant sûrement la louve approcher, provoquant quelques ondes au dessus de l'eau. La louve grisâtre stoppait sa marche à quelques mètres de toi. Serait-ce une Boréale? songea-t-elle en demeurant immobile, droite, fière face à toi, ancrée au sol sur ses quatre pattes.

Prudemment, la louve observait ta réaction ; il semblait plausible qu'elle ne déclenche pas d'affrontement, et de toute manière, Nasatya était vraisemblablement plus robuste et plus imposante, et aucun autres individus de sa meute n'étaient dans les parages, d'après les indications olfactives des lieux. Au contraire, tu reculais d'un pas, non sans te méfier toutefois, c'était évident, mais tu affichais un tempérament relativement calme et peu menaçant, bien que ta première réaction fût de bomber le torse, signe que tu étais cependant tout à fait prête à en découdre s'il fallait en arriver là. Nasatya demeurait immobile en t'observant quelques minutes encore, afin de ne pas brusquer vos instincts bestiaux probablement, puis s'avançait avec une lenteur infinie vers l'animal mort, n'abaissant la gueule qu'une fois à hauteur de ce dernier, pour ne pas baisser sa garde. La truffe de la louve se mettait alors à vagabonder au dessus de la bête; nul besoin d'être doué pour sentir qu'elle était ici depuis un bon moment et qu'il y avait fort à parier que la manger était potentiellement dangereux, mais l'estomac de Nasatya se tordait en elle, si bien que ses sens lui donnèrent l'envie de faire fi de cette odeur. Elle se léchait le museau, comme pour se laver de cette pestilence, avant de relever la tête et reculer à son tour, à la même distance que l'autre canidé, amenant finalement son regard à croiser le tien. Qui es-tu? Un instant, Nasatya eut l'envie de rétorquer quelque chose comme J't'en pose des questions?, puis, elle se demandait enfin si elle n'avait pas mieux fait de partir, après tout, elle ne possédait rien qui lui permettait d'assurer à l'autre qu'elle était ici en toute légalité, et risquait donc un affrontement sans intérêt, d'autant qu'après observations et réflexion, l'amère sensation de faim qui lui tiraillait les tripes ne lui permettrait pas forcément de neutraliser l'un de ses semblables.. Qu'importe, Nasatya toisait la louve blanche, puis, d'une voix douce, lui répondait finalement. Je m'appelle Nasatya, Blanchette. disait-elle simplement, en affublant tout de même son interlocuteur d'un surnom ne se voulant pas blessant mais marqueur de supériorité d'âge. Nasatya, malgré son impuissance face à une meute telle que la Boréale, n'était pas du genre à se laisser marcher dessus, aussi, elle comptait bien le faire savoir à quiconque s'adressait à elle, en toute humilité bien sûr. Ainsi, par ce pseudonyme, elle espérait que l'autre rebrousse chemin et que, même si la proie décharnée avait été sa trouvaille, elle lui la laisse de bon cœur. La louve grisâtre se léchait une nouvelle fois le museau, toujours immobile et légèrement sur ses gardes, la tête plus basse que le reste de son corps. Et toi, qui es-tu ? Elle s'adressait à l'adversaire fièrement, campant sur ses positions de pseudo dominante en position de force mais, il n'en était rien et elle le savait pertinemment. Il était juste coutume, chez les louves, de chercher à s'imposer. De plus, il avait toujours s'agit de cela, pour Nasatya, depuis qu'elle avait conclu cette trêve avec l'Alpha de la meute Boréale ; il en allait de sa survit, certes, mais elle refusait pour autant de se faire martyriser pas les louveteaux qu'autrefois elle aurait pu chasser de leurs propres terres sans autre forme de procès. C'était une nouvelle condition qui avait du mal à passer, d'ailleurs, passer pour une misérable vagabonde, faible et sans terre, bien qu'elle n'était pas malheureuse pou autant en ne respectant que ses lois et en écoutant que le gré de ses envies.