Face à face [Keva]

Le printemps était de retour. Lentement, après cet hiver froid. Il était temps. La rousse devait retourner sur les terres où tout avait tourné au viniaigre. La forêt mixte, comme un vieil ami à qui l'on prête de mauvaises intentions, attendait Keva. À sa lisière, dans la prairie, la rousse regarde cette forêt sombre. Jadis, elle trouvait ces arbres luxuriantes et une faune abondante et riche. Maintenant, elle n'y voyait que du sang et les horribles choses qui s'y était produites.

Elle entra tout de même en son coeur, revisitant ses souvenirs, ses émotions. Marchant dans la forêt, la fourrure hirsute, Keva n'avait plus rien de la dominante qu'elle avait été. Elle était seule, abîmée, brisée. Elle craignait pour sa vie, tous les jours. Elle qui avait toujours été en meute, se retrouver ainsi face à la solitude avait quelque chose d'effrayant. La rousse en avait même perdu sa prestance. La tête à la hauteur des épaules, le pas lourd, elle continuait de progresser.

Après sa rencontre avec Elior à la rivière, elle avait fuit, comme à la guerre. De la rivière, elle s'engouffra dans le fjord. La louve déchue parcouru des montagnes à perte de vue rejoint la prairie, passa dans la forêt pour rejoindre les terres du Nord. Toujours se cacher. Keva devait avoir fait ce parcours plus d'une fois depuis la fin de la guerre. Mais jamais, elle n'avait pu trouver une trace de Varzar. S'était-il exilé lui aussi? N'y croyant plus, ayant cherché une saison durant, elle était maintenant de retour dans cette forêt.

N'ayant pas reçu les soins appropriées pour sa nuque, celle-ci c'était infectée à plusieurs reprises. La rousse avait tentée maintes fois de se soigner elle même, avec les rudiments qu'elle connaissait, mais cela n'avait jamais été suffisant. Keva commençait également à regretter son choix. Où était passé Varzar? Elle se dit même parfois qu'elle aurait du l'achever et gagner les terres qu'elle avait promis à sa meute. Mais il était beaucoup trop tard maintenant.

Alors qu'elle marchait à travers cette forêt, elle eu l'impression qu'on l'appelait. La solitude pouvait parfois rendre fou. La rousse se contenta de secouer sa tête simplement, y chasser ces sons qui l'appelaient. Toutefois, son nom retenti de nouveau dans les airs et cette fois, elle le perçu bien. Ce n'était pas la voix tant attendu de Varzar. Mais c'était bien la voix d'un mâle qu'elle reconnaissait. Ciel. L'espace d'un instant, Keva se redressa, heureuse d'aller à la rencontre de son bêta. Puis, elle se rappela.

Ciel n'était plus son bêta... Sans doute avait-il même reprit les rènes de la meute. Était-il devenu l'alpha? Pourquoi la recherchait-il? Pour se venger au nom de la meute? Pour la tuer sur le champ? Pour la ramener au campement afin que tous, voient sa déchéance? La rousse n'en savait trop rien. Pris dans un élan de panique, Keva chercha un endroit où elle serait en sécurité. Où ce mâle ne pourrait la trouver.

Mais il était trop tard. Ce dernier l'avait repéré. Keva n'eut d'autres options que de se figer sur place. Consciente de ne plus être que l'ombre d'elle-même, elle n'osa pas regarder Ciel dans les yeux. Ainsi, elle dévia le regard et se contenta de maintenir sa tête à hauteur d'épaule puisque sa nuque la faisait souffrir. Lorsque le gris fut à sa hauteur, la rousse lâcha dans une plainte craintive:

Ciel était plus près de Keva désormait et son regard transperçait la louve. Alors qu'elle aurait jadis replacer ce regard à la bonne place, cette fois, elle ne pouvait rien faire de plus que de l'assumer. Puis le mâle prit la parole, assez rapidement. Il lui parla de Elior et d'une offre d'une dernière chance de se joindre à la meute. Puis il lui précisa qu'il ne tenait pas à prendre les rènes de la meute, qu'il ne le ferait que si il y était obligé.


Puis ce dernier enchaîna avec Varzar. Non, Keva n'était pas avec ce loup. Oui, elle devait l'avoir trahit d'une part lors de la guerre. Mais son amour pour lui était plus fort, et la rousse était convaincue qu'elle le retrouverait et qu'il pourrait être ensemble. Ciel lui demanda à quoi cela l'avait menée... La rousse réfléchit un instant. À la peur de mourrir chaque jour... À l'incertitude. À la faim et la mort qui rode... Rien de bien. Mais, Keva pouvait affirmer avoir agit selon ses valeurs...


L'ancienne australe répondait comme un chien docile aux questions du bêta. C'était vrai, à présent, elle ne vivait plus se conflit intérieur qui était si prenant. Bien qu'elle vivait bien d'autre défi présentement, au moins, elle n'usait plus ses ressources dans un amour impossible. Maintenant, c'était possible.

Ciel ressentait de la colère. Cela paraissait. Sa fourrure sur son dos qui était hérissée... Son attitude et sa voix. Tout portait à croire qu'il souhaitait s'en prendre à elle. Pourtant, il n'en fit rien. Il semblait même s'adoucir légèrement. Keva ne s'attendait pas à ce qu'aucun loup de la meute Australe n'y comprennent quoi que ce soit. Le coeur a des raisons que la tête ignore. Comment d'autres individus pourraient y comprendre quelque chose? Elle n'en voulait pas à Ciel, ni à Elior, ni à tout ceux qui avaient tentés de la confronter ou de la convaincre. Elle comprenait leur réaction. Elle avait un devoir envers sa meute et elle avait échouée... Pour un loup qui se faisait fantôme depuis la fin de la guerre...

Ciel lui demanda une dernière fois ses certitudes... Allait-elle regretter? Peut-être... Après tout, Varzar se montrait toujours discret... La meute lui assurait un avenir meilleur, très certainement... Mais pourrait-elle confronter son erreur? La meute pourrait-elle lui refaire confiance un jour après cette trahison de coeur? Quelle avenir lui était meilleure? Errer toute sa vie sans retrouver son bien-aimé, craignant de mourir tous les jours, mais en étant en paix avec ses désirs, ou bien retourner dans un meute en hypocrite, où elle serait considérer comme une traitresse pour toujours?

La rousse jeta un bref coup d'oeil à Ciel. Ce n'était sans doute pas la réponse qu'il désirait entendre. Mais c'était la seule qu'elle pouvait lui donner. Elle ne dévoila pas ses craintes ou ses regrets. Cela ne lui servirait à rien.


Cette dernière confrontation aura eu l'effet de redonner un peu confiance en ses choix. Chaque fois qu'elle repoussait un de ses anciens membre de la meute, elle retrouvait un peu de confiance en ses choix. Comme si cela confirmait que c'était la bonne chose à faire. Elle ne doutait pas que Ciel ferait un excellent dominant, mais elle savait très bien que ce n'était pas ce qu'il espérait. Elle aurait aimé le convaincre de prendre la tête de la meute officiellement, mais la politique de la meute ne la concernerait plus jamais. Ainsi, elle s'abstint de tout autre commentaire.

De la colère. C'était ce que Ciel ressentait. Du moins, c'est ce qu'il laissait paraître. Son regard tantôt méprisant, tantôt en colère, et parfois même exprimant de la pitié. Jamais la louve n'avait fait face à une telle émotion. À l'intérieur d'elle-même, l'alpha déchue qu'elle était hurlait. De peur de se faire oublié. Qu'en penserait son défaut paternel? Elle qui avait tant montré d'espoir pour les générations futurs. Ce n'était pas pour rien que son père l'avait repérer parmis la portée pour diriger la meute à sa suite. Pouvait-elle avoir changé à ce point?

Keva se tenait, pas très fière, devant le bêta de sa meute. De son ancienne meute. Elle l'écoutait sans dire un mot. Ciel était clair. Plus jamais la meute Australe ne lui ouvrirait les bras. Elle serait perçue comme elle devait l'être. Comme une ennemie, comme une traître... Comme une simple solitaire. Une sauvage. Elle ne pouvait plus compter sur l'appui de son ancienne meute. S'attendait-elle à mieux? Après cette trahison, certainement pas. Mais Keva avait tout de même espéré une certaine forme de reconnaissance. Il n'en était rien. Elle devait assumer son geste et les conséquences qui en découlaient.

Ciel donna finalement un conseil à Keva. Prendre soin d'elle même. Et le mâle avait bien raison. Elle ne pouvait se laisser choire ainsi. Elle devait reprendre des forces. Physique, mais aussi de caractère. Elle devait être suffisament forte pour affronter la meute Australe et Boréale qui la perçevaient comme une traître désormais. Mais elle se devait également d'être forte pour aller à la rencontre de la meute Originelle et retrouver Varzar. Mêlant les grognements, Ciel attira l'attention de Keva une dernière fois. Elle n'avait encore répondu à aucune de ses affirmations. Elle ne savait pas ce qu'elle pouvait ajouter. Sa décision était prise.

Puis le bêta offrit quelques mots de plus à la rousse. Regrettant le choix de celle-ci. Hésitant à partir ensuite, Ciel revient rapidement sur ses pas. Keva en profita pour tenter de s'expliquer davantage.


Keva n'y croyait pas un mot. Si elle avait été caractérisé de traître pour la meute Boréale, malgré son exil, la meute Australe subirait sans doute le même sort. Mais la rousse espérait donner un peu d'espoir à son ancien beta.


Keva ne savait pas quoi ajouter de plus. Ainsi, elle laissa la parole au gris une dernière fois, si ce dernier avait quelque chose à ajouter. Autrement, elle quitterait les lieux, tout comme lui.

L'attitude de Ciel changea radicalement. Il fit volteface vers Keva, les crocs à découvert. La rousse abaissa légèrement la tête et plaqua ses oreilles sur son crâne. Comme sauvage, il valait mieux ne pas se montrer trop dominante. Il fallait jouer la carte de la louve soumise. Question de survie. Et c'est ce que la rousse fit. Elle écouta les mots de Ciel. Ce dernier n'était pas dupe, elle le savait bien. Mais elle n'avait eu comme intention que de le remotiver quelque peu, bien que cela n'était plus de son ressort.

Sage, Keva décida de s'abstenir de toute réponse, ne désirant pas affronter le mâle dans un combat qu'elle perdrait sans doute vue son infection dans la nuque. De plus, la rousse avait perdu du poids et cela la désavantageait. Ciel lui partagea qu'il trouverait un nouvel alpha, même si la tâche ne serait pas si simple. Puis, le gris quitta finalement les lieux, laissant seule à elle même, la rousse. Ne bougeant pas, ne le quittant pas du regard, elle murmura lorsqu'il fut suffisament loin, comme pour elle même.

Puis, à son tour, Keva quitta les lieux. Ciel avait raison. Elle devait prendre soin d'elle. Se soigner et trouver à manger.